L'homme qui fait courir les pages du dernier livre de l'indispensable Jean Echenoz, s'appelle Emile. Il pourrait ou plutôt devrait se prénommer Emil, ce Zatopek dont l'auteur de Ravel nous décrit la singulière trajectoire dans un 20e siècle qui ne l'était pas moins, a fortiori lorsqu'on vivait en Tchécoslovaquie sous le joug communiste. Alors pourquoi Echenoz, qui ne fait apparaître le patronyme de cet inclassable champion qu'à la 97e des 142 pages du livre, écrit-il Emile avec un e ? Est-ce pour s'approprier l'homme réel et faire de lui le personnage de son livre, ce subterfuge appartenant à tout écrivain désireux d'instaurer une sorte d'intimité spirituelle ? Est-ce, comme certains l'ont fait remarquer, un clin d'oeil à l'Emile de Rousseau et son traité sur "l'art de former les hommes" ? Est-ce tout simplement parce que "Courir", qui n'est pas vraiment un roman, est encore moins une biographie ? Nul ne le sait et là n'est d'ailleurs pas l'essentiel chez Echenoz qui ne s'embarrasse pas plus du travail d'historien consistant à dresser les listes chiffrées des titres et records accumulés par son héros. Car, bien évidemment, c'est Emile, l'homme, le sportif presque malgré lui, qui intéresse l'auteur et non pas Zatopek et sa légende. Preuve en est cette amusante apostrophe qu'Echenoz adresse au lecteur, page 106 : "Je ne sais pas vous mais moi, tous ces exploits, ces records, ces victoires, ces trophées, on commencerait peut-être à en avoir un peu assez. Et cela tombe bien car voici qu'Emile va se mettre à perdre". C'est avec ce décalage, cette légèreté et cette distance si caractéristiques de sa plume, qu'Echenoz conte la vie de son personnage, que le destin -qui ne s'y trompe jamais- s'est ainsi amusé à faire travailler chez le fabricant de chaussures Bata, avant qu'Emile ne devienne Zatopek, "la locomotive". Pourtant, pas plus que la Tchécoslovaquie n'avait vocation à être envahie par l'Allemagne nazie ni par l'URSS communiste, Emile n'était pas spécialement fait pour devenir un des meilleurs coureurs de demi-fond de tous les temps ni, semble-t-il, se voir accrocher les galons de lieutenant-colonel au terme de son étrange carrière militaire. Une accumulation de médailles militaires qui ne fit que succéder, il faut bien le dire, à celles sportives ayant fait de Zatopek le Tchécoslovaque, la vedette américaine de l'athlétisme mondial. Choses qu'Echenoz s'amuse à expliciter, en prenant allègrement de nombreuses tangentes, que ce soit lors de la dissection de l'impropre technique de course propre à Zatopek, ou bien lorsqu'il s'agit de mettre en exergue le mode de pensée d'Emile ("Or, tout gentil qu'il est, il s'aperçoit aussi qu'il aime bien se battre"). Que ce soit pour raconter l'homme simple, le tueur des pistes, l'icône manipulée ou la légende humiliée, Echenoz nous régale du moindre mot soupesé comme de sa photographie de l'instant qui font de "Courir" une bien jolie oeuvre.dimanche 2 novembre 2008
COURIR (J. Echenoz)
L'homme qui fait courir les pages du dernier livre de l'indispensable Jean Echenoz, s'appelle Emile. Il pourrait ou plutôt devrait se prénommer Emil, ce Zatopek dont l'auteur de Ravel nous décrit la singulière trajectoire dans un 20e siècle qui ne l'était pas moins, a fortiori lorsqu'on vivait en Tchécoslovaquie sous le joug communiste. Alors pourquoi Echenoz, qui ne fait apparaître le patronyme de cet inclassable champion qu'à la 97e des 142 pages du livre, écrit-il Emile avec un e ? Est-ce pour s'approprier l'homme réel et faire de lui le personnage de son livre, ce subterfuge appartenant à tout écrivain désireux d'instaurer une sorte d'intimité spirituelle ? Est-ce, comme certains l'ont fait remarquer, un clin d'oeil à l'Emile de Rousseau et son traité sur "l'art de former les hommes" ? Est-ce tout simplement parce que "Courir", qui n'est pas vraiment un roman, est encore moins une biographie ? Nul ne le sait et là n'est d'ailleurs pas l'essentiel chez Echenoz qui ne s'embarrasse pas plus du travail d'historien consistant à dresser les listes chiffrées des titres et records accumulés par son héros. Car, bien évidemment, c'est Emile, l'homme, le sportif presque malgré lui, qui intéresse l'auteur et non pas Zatopek et sa légende. Preuve en est cette amusante apostrophe qu'Echenoz adresse au lecteur, page 106 : "Je ne sais pas vous mais moi, tous ces exploits, ces records, ces victoires, ces trophées, on commencerait peut-être à en avoir un peu assez. Et cela tombe bien car voici qu'Emile va se mettre à perdre". C'est avec ce décalage, cette légèreté et cette distance si caractéristiques de sa plume, qu'Echenoz conte la vie de son personnage, que le destin -qui ne s'y trompe jamais- s'est ainsi amusé à faire travailler chez le fabricant de chaussures Bata, avant qu'Emile ne devienne Zatopek, "la locomotive". Pourtant, pas plus que la Tchécoslovaquie n'avait vocation à être envahie par l'Allemagne nazie ni par l'URSS communiste, Emile n'était pas spécialement fait pour devenir un des meilleurs coureurs de demi-fond de tous les temps ni, semble-t-il, se voir accrocher les galons de lieutenant-colonel au terme de son étrange carrière militaire. Une accumulation de médailles militaires qui ne fit que succéder, il faut bien le dire, à celles sportives ayant fait de Zatopek le Tchécoslovaque, la vedette américaine de l'athlétisme mondial. Choses qu'Echenoz s'amuse à expliciter, en prenant allègrement de nombreuses tangentes, que ce soit lors de la dissection de l'impropre technique de course propre à Zatopek, ou bien lorsqu'il s'agit de mettre en exergue le mode de pensée d'Emile ("Or, tout gentil qu'il est, il s'aperçoit aussi qu'il aime bien se battre"). Que ce soit pour raconter l'homme simple, le tueur des pistes, l'icône manipulée ou la légende humiliée, Echenoz nous régale du moindre mot soupesé comme de sa photographie de l'instant qui font de "Courir" une bien jolie oeuvre.jeudi 16 octobre 2008
THERE WILL BE BLOOD (P.T. Anderson)
"I'm finished". Depuis le "fuck" prononcé par Nicole Kidman pour boucler l'envoûtant "Eyes Wide Shut", on n'avait pas entendu pareille réplique, aussi inspirée, pour clore un film. Ainsi se termine "There Will Be Blood", chef d'oeuvre à la densité incroyable, dans lequel l'acteur irlandais, D.D. Lewis, assis de dos sur une piste de bowling, épuisé, clame in fine cette réplique , comme une épitaphe à sa propre performance, ahurissante, rarement vue sur un écran. Ainsi se termine l'épique film de Paul Thomas Anderson, après 2h38 qui (me) parurent parfois longues, déconcertantes, mais si souvent fascinantes, jouissives et encore bien après, obsédantes... Cette histoire, qui se concentre sur un pan de l'histoire des Etats-Unis, a cette force incroyable, à l'instar de la Bible (à laquelle il est régulièrement fait référence), de nous mettre face à notre conscience sur ce rapport intemporel et universel de l'homme avec l'argent, la cupidité et donc le pouvoir. Daniel Plainview (D.D. Lewis) est un homme à la détermination et l'ambition sans failles, qui sait ce que labeur et souffrances signifient pour réussir dans la vie, comme cela nous l'est montré en ouverture du film (sans dialogue pendant dix minutes), où malgré une jambe cassée suite à une lourde chute, il se hisse hors du trou creusé où il vient de découvrir du pétrole. Aussi quand il apprend plus tard que les terres californiennes regorgent d'or noir, Plainview troque sa salopette graisseuse pour revêtir son plus beau costume de prospecteur, et à la manière d'un prédicateur s'en va visiter les fermiers pour racheter leurs terres. Clairvoyant, Plainview (qui se traduirait par "vision claire, franche") se caractérise précisément par cette idée fixe: réussir coûte que coûte et devenir riche. Sur sa route, il se heurtera notamment au jeune Eli Sunday (impressionnant Paul Dano), un jeune prêtre de l'église de la "troisième révélation" à qui il a justement racheté les terres, sans véritablement les payer, pour une lutte des faux-semblants qui fera couler du sang. De sang, justement, il en est aussi question s'agissant des liens qui (dés)unissent Eli de son jumeau Paul, qui celui qui a informé Plainview de l'existence de pétrole sur les terres familiales en échange de quelques dollars. Bibliquement, Paul serait de fait un "Caïn" tout désigné, celui qui fuit le troupeau dont Abel/Eli resterait le gardien. Cette référence en appelant d'autres, le film trouve surtout là un prétexte à brouiller les pistes concernant les idées préconçues, manichéennes, du Bien (Eli, la foi, Dieu) et du Mal (Plainview, l'argent, le pouvoir). Les multiples rebondissements de "There Will Be Blood", jusqu'à son épilogue hallucinan, révèleront rarement ce que les hommes ont de mieux en eux, et très souvent ce qu'ils ont de pire. Les climax ne manquent donc pas dans cette oeuvre, tirée du roman "Pétrole !" ("Oil !"), écrit par Upton Sinclair, dont Anderson a d'abord adapté les 150 premières pages, avant d'écrire lui-même le reste, pour un résultat époustouflant truffé de moments intenses. La séquence du derrick en fusion est un des sommets du film, démarrant par une violente explosion de gaz, qui ôtera l'ouïe du fils adoptif de Plainview, lequel sera d'abord affolé par le sort de son rejeton, avant de vite comprendre la richesse qui l'attend devant ce long feu d'artifice. A cette terrible confusion des sentiments, succède la question des priorités que l'on devine alors aisément chez cet homme cupide. Malgré tout, les séquences témoignant la tendresse et l'attention portées à son fils par Plainview atténuent vite les impressions tôt faites sur son compte. De même que son déchirement et son impuissance face au sort qui touche son enfant le poussent à être d'une grande violence contre Eli, qui sera traîné dans la boue pour avoir réclamé au moment inopportun les 5000 $ dûs. Autant de démonstartions par l'extrême que Plainview n'est pas encore tout à fait le personnage sans coeur qu'il va devenir. Eli, qui n'aura pas tendu l'autre joue, aura sa revanche, sous la forme d'humiliation infligée à Plainview, obligé de subir des mains et de la voix de son ennemi intime, qui s'en délecte, une initiation pour intégrer l'église. Grotesque, tragicomique et cruelle dans sa forme et son contenu, la séquence fait rire autant qu'elle dérange et montre jusqu'à quel paroisse Plainview, qui n'a qu'un seul Dieu, le dollar, est prêt à prêcher pour arriver à ses fins. Au milieu de cette guerre entre nos deux protagonistes, qui ponctuera le film dans un même maelström d'humour, de nervosité et de violence inouïe, l'autre (parmi tant d'autres) séquence marquante du film demeure la terrible rupture entre Plainview, devenu le mégalomane alcoolique craint, et H.W., son fils devenu un adulte désireux de voler de ses propres ailes au Mexique, mais sur les traces professionnelles de son père. La cruauté de Plainview, annonçant que H.W. n'était qu'un orphelin voué à être adopté pour lui permettre d'asseoir sa crédibilité d'homme aux valeurs familiales lors de ses prospections, n'a d'égal que sa tristesse de voir ce fils suivre ses pas. A l'idée simpliste de montrer Plainview voulant s'opposer violemment à toute idée de concurrence, se substitue surtout celle de son refus de voir ce jeune homme subir un jour la même déchéance que lui vit, seul dans son palais trop grand, paranoïaque et dépourvu d'humanité. Car l'explosion de gaz qui l'a rendu riche, l'a surtout éloigné à petit feu de ce fils adoptif, qu'il aimait vraiment, sans que cette cicatrice soit refermée... La complexité de sujets abordés, P.T. Anderson les transcende par une mise en scène et une direction d'acteurs impressionnantes. Par ces aspects et bien d'autres son cinéma noue des liens évidents, tels une filiation, avec celuui de Kubrick. Si les derricks rappellent quelque peu le monolithe de "2001 Odyssée de l'Espace", c'est surtout chez Barry Lyndon que l'écho se fait. Même si l'arrivisme propre à Lyndon n'est pas l'arme maîtresse de Plainview, on y retrouve la même aptitude à disséquer la trajectoire vers la folie d'un homme, souvent sans scrupule, obsédé par l'accession à une forme de pouvoir, jusqu'au final "grand-guignolesque" qui ponctue la Comédie Humaine selon Anderson. En dépit de quelques longueurs superflues, comme l'épisode du demi-frère de Plainview, "There Will Be Blood" reste une expérience cinématographique rare, difficile à oublier.mercredi 15 octobre 2008
VICKY CRISTINA BARCELONA (Woody Allen)
Toujours aussi prolifique, à raison d'un film par an, mais plus alternativement inspiré, Woody Allen a choisi Barcelone pour théâtre de son nouvel opus. Un choix judicieux si l'on en juge sa verve retrouvée, admirablement servie par des acteurs brillants et manifestement heureux d'être là. En guise de point de départ, le titre "Vicky, Cristina, Barcelona" ne peut être plus explicite: deux amies américaines, opposées sur les questions sentimentales, décident de passer leurs vacances estivales à Barcelone, berceau d'un hédonisme qui saura aisément bouleverser leurs certitudes respectives. La brune Vicky (discrètement sexy, Rebecca Hall) ne jure que par un seul amour possible, synonyme de sécurité et de stabilité, celui de son riche futur mari resté à New York. La blonde Cristina (blonde Scarlett Johanson), elle, ne croit pas en l'idée d'un seul amour et en libertaire indépendante avouée s'apprête bien à profiter de son séjour espagnol pour trouver le premier hidalgo venu. Sauf que cet homme, Juan Antonio, est campé par le très animal Javier Bardem (brillant), dont le désir assumé n'est autre que de réunir les deux jeunes femmes dans son lit. Une ambition plutôt compréhensible, qui ne constitue que le premier de nombreux bouleversements, pour la plupart dotés de ressorts comiques assez jouissifs, avec notamment l'irruption dans l'histoire de Maria Elena (Penelope Cruz à son meilleur), l'ex-femme hystérique de Juan Antonio (qui invoquent Thanatos et Eros). Evidemment, une fois les tentations du beau Juan Antonio assouvies, les deux amies américaines verront leurs convictions bouleversées, la question étant de savoir à quel point ces aventures affecteront leur vie et les choix qui les attendent. A ce titre, les dialogues font, comme souvent chez Woody, mouche, que ce soit pour faire la part belle à des situations burlesques et offrir quelques réflexions existentielles intéressantes. Pour autant, on regrettera que Woody Allen force un peu trop le trait dans sa description caricaturale de Doug, le mari de Vicky, incarnation du Wasp friqué, sans culture, assis sur ses valeurs moralistes ultra-américaines. Le plaisir évident avec lequel Allen tend à confiner au ridicule ce fade et inintéressant amerloque pour mieux l'opposer à Juan Antonio, tentateur plein de culture et de finesse, relève d'une solution de facilité inhabituelle. Comme s'il voulait stigmatiser, selon une parabole très risquée, cette soi-disant différence entre les européens, leur prétendue finesse, leur immense culture forgée par l'histoire et leur hédonisme sans tabou, face au puritanisme, au protectionnisme et donc à l'inculture dont feraient preuve la majorité des américains. Certes Woody Allen est produit depuis des années maintenant par diverses productions européennes, et la majorité de son public demeure européen, mais c'est sa personnalité new yorkaise férue de multiculturalisme qui fait de lui ce si complexe auteur très américain que l'on apprécie. Ce qui permet de penser que Doug eut pu tout aussi bien être ce new yorkais, ouvert sur le monde, plein d'humour, séduisant, cultivé, digne d'être l'élu de Vicky finalement, tout en étant cocu devant Juan Antonio. Une opposition de fait un peu plus équilibrée qui aurait enrichi un peu plus l'histoire et certainement millésimé un cru 2008 qu'on jugera néanmoins comme très bon.vendredi 10 octobre 2008
APPALOOSA (E. Harris)
Ed Harris, acteur dont l'indéniable capital sympathie prit en 2000 une ampleur supplémentaire à la réalisation de Pollock, biopic réussi sur un des plus insaisissables peintres américains du siècle dernier, s'est mesuré, pour son deuxième film derrière la caméra, à la rude déclinaison du western. Si Appaloosa lorgne plus vers John Ford que Sergio Leone, ainsi que l'a précisé Harris, également coscénariste, c'est plutôt au Rio Bravo de Howard Hawks que l'on songe à la vision de ce film sur une amitié irréductible, quasi aveugle, entre deux hommes unis par leur vocation à faire respecter la loi dans l'ouest des Etats-Unis. Appelé à la rescousse d'une petite ville sans repère depuis l'assassinat de son sheriff par Randall Bragg, un dangereux propriétaire terrien (J. Irons, cabotin peu convaincant), Virgil Cole (E. Harris) secondé de Everett Hitch (impeccable V. Mortensen) accepte de rendre justice à la condition d'y imposer sa propre loi. Dans l'ouest américain de la fin du XIXe siècle, cette façon d'opérer était vraisemblablement monnaie courante, pourtant elle fut très rarement montrée à l'écran, l'image de la loi ne devant en aucun cas être altérée. Ed Harris, lui, n'en a cure, distillant ça et là une peinture de l'époque ultra-réaliste, qui montre par exemple comment, ironie du sort, Bragg le meurtrier recherché, puis arrêté et réchappant de la potence, deviendra ensuite le premier investisseur de la ville, se rachetant par là même conduite et honorabilité, sous les yeux impuissants de Cole. Car, dans la société de cette époque, les renégats criminels d'un jour pouvaient bien être les citoyens d'honneur du lendemain, l'argent effaçant toutes les dettes comme les mémoires. Au delà de l'effort documentariste, c'est l'histoire d'amitié entre les deux héros qui prédomine dans le film, d'abord illustrée par une complicité évidente entre Ed Harris et Viggo Mortensen, acteurs quasi minéraux. Si, dans l'intimité entre les deux compères, le non-verbal est d'ailleurs le mode de communication le plus efficace, en société, Hitch finit très souvent les phrases maladroites d'un Cole peu habitué à s'exprimer. Ressort humoristique décalé, ce gimmick apparaît au final comme la parabole illustrant Hitch finissant le travail commencé par Cole, en témoigne la fin du film. Cette amitié indéfectible entre les deux héros, Harris choisit de la mettre à l'épreuve avec l'apparition d'Allison French, une femme à la personnalité plus complexe que ne le laisse entrevoir son image de veuve joyeuse en quête perpétuelle du mâle dominant. Le personnage est intéressant dans la mesure où il bouleverse l'existence de ce vieux garçon qu'est Cole, et force est de reconnaître que par ses énervantes minauderies, la rougeaude Renée Zellweger (droit sortie d'un four à pizza) en donne une crédible incarnation, malgré l'épreuve que constitue pour nos yeux et nos oreilles sa présence à l'écran. A la fois réaliste et décalé, Appaloosa illustre une nouvelle fois la vitalité d'un genre qui aura su brillamment se renouveler ces dernières années. Et s'il se classe devant le trop romantique et nostalgique "3h10 pour Yuma" (J. Mangold), on lui préfèrera la formidable tension et impression de puissance de "Open Range" et surtout la poésie et l'onirisme de "L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford".mardi 7 octobre 2008
TV ON THE RADIO (Nouveau Casino)

mardi 23 septembre 2008
DIG OUT YOUR SOUL (Oasis)
Bientôt quinze ans déjà que les Mancuniens sévissent, et après six albums au compteur dont on ne retient que les deux premiers, supersoniques, les revoilà avec un opus enfin audacieux qui manque finalement de peu de marquer leur grand retour, longtemps inespéré, au sommet musical. Le choix du titre ("Dig out your soul"), exercice souvent pompeux chez Oasis, résonne ici plutôt comme un leitmotiv que se serait appliqué à suivre le groupe pour retrouver le puis de l'inspiration. Ranimer la verve des débuts, sans trop tomber dans le déjà-entendu, en somme. Pendant huit chansons, soit les trois quarts de l'album, la bande aux Gallagher réussit ce pari, certes non sans mal, en se mordant les lèvres pour éviter l'esbroufe, en retenant ses fanfaronnades, désormais uniquement réservées aux promos et aux concerts, et en jouant parfois contre nature pour mieux laisser s'immiscer quelques vagues nappes électroniques. Bien qu'on ne sache pas jusqu'où la collaboration avec Death in Vegas est allée, on en perçoit d'heureux stigmates (notamment sur "To be where there's life", 8e piste signée Gem Archer). C'est pourtant à partir de ce morceau que le disque s'essouffle, lorsque ce dernier, Andy Bell et Liam y vont de leurs morceaux pour clore l'album, selon, la démocratie instaurée par Noel depuis deux opus. Car il y a clairement les chansons écrites par Noel et celles des autres. "I'm outta Time", très belle première (et de loin la meilleure) des trois compositions de Liam, témoigne plus symptomatiquement du retard qu'accuse le cadet sur son aîné. Cette chanson porte à ce point bien son titre qu'elle sonne comme une Lennon période Abbey Road et perpétue cette caution Beatles dont le groupe n'a plus besoin. Alors que Noel tente enfin de tuer le père pour vouloir en découdre sur les plates bandes d'autres monuments musicaux, Liam continue lui d'arroser les fleurs de la pochette de Sgt Pepper. Or si les Gallagher ont tant déçu depuis dix ans, c'est par leur agaçante incapacité à se renouveler, là où d'autres ont brillé par leurs talents multiples (Albarn). Alors on ne peut que se réjouir aujourd'hui à l'écoute de "Bag it up", emballante ouverture aux effets psychédéliques, de "The Turning", dont la rythmique "Kid A" prend une superbe ampleur avec un choeur inattendu, de "Waiting for the rapture" où on croirait entendre les White Stripes croiser le fer avec le "Beetlebum" de Blur. Et comme on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même, "The shock of the lightning" rappelle les singles dévastateurs de "Definitely Maybe", quand "Falling Down" atteint les sommets d'écriture entrevus sur "What's the Story Morning glory". A peine abordé sur le précédent "Don't believe the truth", le virage musical d'Oasis est donc ici bel et bien réussi: au frein à main, avec un seul oeil dans le rétro et ce qu'il faut d'accélération pour la ligne droite. Toujours pas de quoi s'autoproclamer "meilleur groupe du monde", mais certainement de quoi postuler au titre de "come back de l'année". Welcome back, then, lads.vendredi 19 septembre 2008
FLEET FOXES (Fleet Foxes)
Pour ma première chronique musicale, je ne pouvais mieux tomber. Il n'empêche que les mots (justes) me manquent à l'évocation du premier album éponyme de Fleet Foxes, un groupe de cinq frappadingues venus de Seattle, Washington State. Mais justement qu'est-il arrivé à cette "rainy city" à la pluie tapageuse et crasseuse -dont le grunge faisait jusqu'alors office d'oeil du cyclone musical-, pour tourner à ce point casaque et enfin se pencher vers le soleil ? A moins que tout cela ne résulte finalement que des radiations stellaires d'une aurora borealis qui aurait un instant fugué le proche hémisphère nord... Epique, harmonieux, baroque, hédoniste, magique, Fleet Foxes est tout cela à la fois et bien plus encore, à mesure que l'on écoute cette véritable corne d'abondance musicale qui redonne à la Pop ses lettres de noblesses et restitue à la Folk la grandeur de ses espaces. Même pour Rahan, jamais le soleil n'a paru si près qu'à lécoute de "Sun it Rises", jamais l'hiver n'a semblé si chaud (White Winter Hymnal). Les parents spirituels de ce petit miracle sont certes évidents (Beach Boys, Love, The Coral...), mais cet album outrepasse allègrement toute référence et balaye toute révérence (Your Protector). Il est un classique instantané, de ceux qui soulèvent les montagnes, écartent les mers et arrêtent le temps. Déjà gravé dans le marbre de nos platines.samedi 6 septembre 2008
GOMORRA (M. Garrone)
Adaptation du roman éponyme de Robert Saviano, Gomorra nous plonge dans l'enfer de la Camorra sous ses formes les plus diverses, pour rappeler ce constat effrayant: la mafia napolitaine est une arraignée dont l'immense toile piège toute l'Italie. Démonstration en est faite avec les destins parfois croisés de plusieurs personnages que l'on suit à l'écran, durant 2h15 d'un film très documenté, servi par des acteurs saisissants de réalisme et une mise en scène nerveuse, au cordeau, à défaut d'être sublimée par son sujet. De cette radiographie de la société napolitaine, il en ressort évidemment que le trafic de drogue est un cancer dévastateur, mais pas le seul tant d'autres points névralgiques sont également touchés. Ainsi, la corruption s'immisce-t-elle jusqu'à Milan (dans le film, dans toute l'Europe en réalité) pour déverser en toute discrétion des tonnes de déchets toxiques lombards dans les terrains vagues de Campanie, contaminant la nature environnante avec les dégats qu'on imagine. Autre économie parallèle évoquée, celle juteuse des contrefaçons textiles, à travers le personnage de Pasquale, un couturier, sorti de la rue par son employeur lorsqu'il était gamin, et rattrapé par la Camorra après avoir prêté ses talents à des concurrents chinois. L'organisation en interne du systême est également disséquée, avec le parcours de Don Ciro: vieil employé de la pègre chargé de prendre ou distribuer l'argent aux habitants selon les ordres reçus et qui tente de sauver sa peau face à un changement de pouvoir, symptomatique d'une Camorra en pleine mutation. Car la guerre des gangs frappe aussi la pègre napolitaine, avec son lot de victimes innocentes pour peu qu'on se retrouve malgré soi dans le mauvais camp. Et lorsqu'un adolescent vit à Scampia (banlieue de Naples où se déroule l'action), le choix d'une vie en marge de la rue, des gangs, et de la violence est quasi impossible. C'est dans cet engrenage que Toto, 12 ans à peine, doit choisir son camp et prouver son engagement aux conéquences terribles. Gomorra est au final une vision crue, brute de la mafia, à des années lumières du romantisme notamment véhiculé par Romanzo Criminale (M. Placido), qui était lui-même inspiré par ce que le cinéma américain a su produire de mieux dans le genre. Le destin tragique de Marco et Ciro illustre parfaitement la différence de ton et de propos: âgés d'à peine une vingtaine d'années, ils rêvent de devenir comme Tony Montana, dans Scarface de Brian De Palma. Les deux rêvent de liberté, de pouvoir, et vont même jusqu'à défier les parrains locaux, avant d'être brutalement ramenés à la réalité. Celle d'une pelleteuse transportant leur deux corps criblés de balles au terme d'une embuscade. Celle d'un destin qu'on ne maîtrise pas, quand on vit à Gomorrhe sous le joug de la Camorra.lundi 1 septembre 2008
THE LAST SHADOW PUPPETS (Olympia)

La première fois où je vis Alex Turner sur scène, en juillet 2007 aux Arènes de Nîmes, j'eus une appréciation mitigée de sa prestation à la tête des Arctic Monkeys, auteurs à mon sens d'un concert certes bien calibré, mais trop vite expédié, sans ferveur particulière. J'avais même la désagréable sensation d'avoir vu des mômes jouer comme on cachetonne, en donnant le minimum, sans émotion, ne laissant aucune place au hasard. J'étais en quelque sorte assez effrayé de voir ces gosses jouer comme des vieux briscards tous rodés et érodés par le temps, même si avec le recul, je conçois que ce concert était un des derniers de leur longue tournée, d'où une fatigue et une possible envie de passer à autre chose légitimes. Un peu plus d'un an a passé, et notre garçon au talent précoce a eu l'excellente idée, entre-temps, de s'aventurer avec Miles Kane (des Rascals) sur les traces de Scott Walker, Burt Bacharach et autre Divine Comedy pour créer The Last Shadow Puppets. Une pop enlevée, ambitieuse, symphonique qui n'a pas complètement rempli l'Olympia -contrairement au sold out annoncé ici et là-, mais que nos deux lascars ont visiblement pris plaisir à jouer, accompagnés d'un orchestre comprenant seize musiciens pour les cuivres et les cordes. L'heure et quart de concert est vite passée, mais contrairement à l'expérience Arctic Monkeys décrite en introduction, l'énergie était présente, comme la bonne humeur. Il y eut certes quelques imperfections et le duo a même paru désordonné devant leur orchestre, mais ceci contribua à créer une ambiance foutraque pourvue de grands moment sde plaisir. Le galopant "Calm like you" (très John Barry dans l'âme) ouvrit ainsi vigoureusement les battants du saloon, avant que les singles "The age of the understatement" et "Standing next to me" n'apportent l'ivresse espérée. Si le rendez-vous avec David Bowie fut attendu pour la reprise de "In the heat of the morning", celui avec Arthur Lee et Love pour la cover de "Little Red Book" fut aussi beau qu'inespéré, tout comme "Summer Paris" de Lee Hazlewood et Nancy Sinatra, joliment interprété par Alison Mosshart, empruntée aux Kills pour ce voyage dans le temps qui ramena l'Olympia vers l'âge d'or de la pop sixties. Ne manquait juste que Austin Power pour le Mojo.
vendredi 22 août 2008
THE DARK KNIGHT (C. Nolan)
L'attente de ce second volet des aventures de Batman vu par le prisme de Christopher Nolan (ainsi que son frère Jonathan et David Goyer coscénaristes, sans oublier Frank Miller en Spirit guide) me fut péniblement longue. La faute d'abord à Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal, sur lequel j'avais dangereusement fondé mes espoirs de geek les plus fous, et dont l'immense déception m'a fâché durant quelques semaines avec le Cinéma (mais j'y reviendrai ultérieurement). La faute surtout à Batman Begins qui m'avait en 2005 très agréablement surpris, alors que je n'en attendais rien. Revisiter Batman/Bruce Wayne de la sorte était un pari risqué: le trauma de l'enfance, l'idée de surmonter sa peur pour mieux l'inspirer aux autres, le dur apprentissage guerrier du héros, les premières erreurs... Tout y passait. Mais malgré les risques évidents de plantage, Nolan avait réussi avec justesse à poser les bases de son Batman, à lui recréer une mythologie. A l'inverse, The Dark Knight déconstruit, révolutionne tous ces codes du film de Comics pour basculer dans une anarchie aussi risquée que jouissive. Seule logique due au concept de Sequel, celle de trouver à l'homme chauve-souris un ennemi à sa hauteur, ou plutôt Son meilleur ennemi. La raison d'être de Batman était évidente depuis B.B. ? Elle prend un sens encore plus profond avec le Joker. Si, dans le premier volet, Bruce Wayne/Batman était un héros dont les personnalités et les motivations avaient été clairement explicitées, la présence du Joker remet allégrement en cause ces fondements. D'abord car aucune information crédible ne filtre quant à l'origine du Joker: on ne connaît rien de lui, il sort de nulle part et ses propres explications sont contradictions mêmes. En ce sens Nolan brouille volontiers les pistes pour nous faire perdre tout repère. Dans la même logique, si Batman aura toujours son utilité tant qu'il y aura des criminels à combattre, un de ceux-là, le Joker, n'a lui de raison d'être que pour combattre Batman. Le destin du Joker dépend clairement de celui de Batman et son objectif est d'imposer à son jumeau bénéfique cette réciprocité (To them, you're just a freak. Like me!). Le tour de force réussi par Nolan aura surtout été de montrer que le Joker n'est rien d'autre que la Nemesis de Batman, mise en scène à l'appui, comme ce plan où le Joker, tête en bas, est suspendu dans le vide à un fil, Batman lui faisant face. Y est représenté à l'écran le graphisme et la symétrie même d'une carte de jeu représentant un joker. Ce "bad guy" est inédit en tout point, car imprévisible, surtout aux yeux de spectateurs a qui on a donné l'habitude d'expliquer les motivations des méchants. C'est ce qui rend ce personnage aussi fascinant et effrayant. Dire de Heath Ledger qu'il semble habité par ce rôle à l'évidente démesure est un lourd euphémisme. Sa composition est exceptionnelle. Les dialogues entre le Joker et Batman sont ciselés, évidents, coulent de source: ce film de Comics peut se targuer d'être mieux pensé, écrit que nombre de films dits d'auteurs de ce côté-ci de l'Atlantique. Le film est certes un peu long (2h40), l'ellipse eut été à mon sens judicieuse par moments, notamment pour la séquence à Hong Kong, et les scènes d'actions -confuses- ne sont pas le point fort de Nolan. Mais il y a là tellement peu de défauts en comparaison du déluges de bonnes idées et de moments forts qui rendent ce Dark Knight si dense et passionnant. Le triangle Batman-Joker-Double Face est une équation à trois inconnues qu'il est par exemple vain de vouloir résoudre après un seul visionnage. Face à la folie du Joker, manipulateur en diable, Batman perd ses repères de justicier et s'en remet à l'idéalisme incorruptible du procureur Harvey Dent, lequel ne cache pas son admiration devant la brutale justice opérée par Batman. Une fragile alliance de fortune, orchestrée par le Joker pour mieux imposer la discorde et la tragédie. D'autant que dans The Dark Knight, Batman est de plus en plus esseulé. La Wayne Tower, dans laquelle il vit désormais, est une tour de verre qui illustre son extrême solitude -et ne parvient pas même à lui faire prendre de la hauteur pour déjouer les plans de son adversaire. Certaines de ses décisions et pratiques, parfois douteuses, ont ainsi un écho défavorable jusque chez ses alliés les plus précieux et discrets. De cette farouche bataille, Batman perd bien plus qu'il ne gagne. Les chiens sont lâchés sur lui, le forçant à quitter les grattes-ciel pour revenir à l'ombre des bas-fonds, avant peut-être de redescendre à la source de la Bat-cave. Et ainsi boucler la boucle. De quoi donner tout son sens au titre du film, surnom désormais affublé au Caped Crusader: Dark Knight. Grand film.